SIGNIFICATION DU PRECEPTE : Si tu as, c’est pour donner !
Quand doit-on donner ? Que devons-nous donner ? Pour préciser le sens de notre précepte, la réponse à ces questions semble nécessaire. Dans la pratique quotidienne, nous sommes habitués à raisonner en termes de nécessaire, de convenable et de superflu. Mais dans la réalité, il est difficile de distinguer adéquatement le nécessaire et le convenable du superflu. Pour résoudre ce problème, il faut poser une triple distinction entre :
- La propriété de biens et la disponibilité de biens
- Le nécessaire et l’utile ou le convenable
- Le nécessaire, le convenable et le superflu
A/ La propriété et la disponibilité de biens
Il y a une propriété et une disponibilité de biens que toute personne est moralement obligée d’avoir ou de rechercher : il s’agit de ce minimum de biens qui permettent de mener une vie humainement digne. Il ne s’agit pas seulement de la pure survivance, mais ces biens doivent consentir de réaliser raisonnablement la personnalité et la liberté de chacun.
Tous ont le devoir moral de chercher à se procurer ce minimum, tant qu’on est physiquement en mesure de le faire, avec un travail même très humble. La négligence ou la paresse devient ici un auto-conditionnement qui peut gravement exposer à des actes peccamineux. Dans des cas extrêmes, ou en cas de vocations spéciales (vœux de religion), on pourra renoncer à ce minimum. Mais cela n’est pas la normalité. Et jamais on ne peut y renoncer quand le choix implique d’autres personnes confiées à nos soins : un père de famille ou un couple ne peut pas renoncer à cela.
B/ Le nécessaire et l’utile ou le convenable
Il y a un espace de propriété qu’il est impossible de déterminer ordinairement avec précision. Il ne s’agit plus du minimum pour une subsistance humaine. Il s’agit au contraire d’une propriété qui assure un bien-être moyen, proportionné au bien-être commun à la majorité des membres de la société civile dans laquelle on vit, et aussi, de quelque façon, de la couche sociale ou professionnelle à laquelle on appartient au sein de la même société civile. C’est ce que traditionnellement, on a appelé l’ « utile » ou le « convenable » : les biens de convenance par distinction aux biens de nécessité.
Tandis que pour le nécessaire il y a le devoir de se procurer ou de rechercher la possession de biens adéquats, devoir qui incombe même à celui qui a fait vœux de pauvreté, pour ce qui concerne le convenable, un tel devoir ne subsiste pas absolument. Le convenable désigne l’évaluation de ce qui est utile pour une condition de vie donnée dans la société. Le convenable est seulement un droit par rapport au nécessaire (ce que j’ai dans tous les cas le devoir de me procurer), et par rapport au superflu (ce que j’ai dans tous les cas le devoir de donner).
C/ Le nécessaire, le convenable et le superflu
La discussion du convenable est nécessaire pour établir où commence le devoir de donner ce qu’on a aux autres. Il s’agit d’établir des critères sur la base desquels, au-delà de la limite du convenable, il subsiste toujours le devoir grave de donner ses biens aux autres, comme un devoir de justice ; et donc une condition concrète pour qu’il y ait la paix dans la société (les uns mangent les autres regardent ; ainsi naissent les révolutions).
Il existe des situations exceptionnelles et transitoires où le nécessaire doit être mis en commun. Il existe aussi un espace de propriété qui ne nous appartient plus, si l’on prend en considération le devoir de justice : sur la terre, tant qu’il existe quelqu’un qui manque du stricte nécessaire, le stricte minimum pour mener une existence humainement digne. La détermination de la limite entre l’espace du convenable et l’espace du superflu est confié au discernement de l’individu ou des différentes familles. Mais on peut retenir essentiellement deux critères de discernement : les nécessités présentes et les nécessités raisonnablement prévisibles pour l’avenir.
Retenons que ce qui est moralement légitime de garder (c'est-à-dire de ne pas donner), c’est ce qui est nécessaire pour entretenir un niveau global de vie modeste, mais une modestie co-mesurée au niveau de vie normale de qui, dans la société où l’on vit, jouit d’un revenu moyen. Il ne s’agit pas ici du nécessaire pour mener un haut niveau de vie, même si les revenus le permettent. Il s’agit par contre de tout ce qui est vraiment nécessaire pour bien accomplir son travail, même si c’est à un coût élevé.
D/ La nécessité de l’épargne
L’homme est capable d’adapter des moyens à des fins, et donc d’appliquer des ressources limitées à des besoins illimités. Et pour cela il doit être une providence pour lui-même et pour sa famille. Il naît ainsi l’opportunité d’une forme quelconque d’épargne d’une partie du revenu, afin d’avoir une certaine disponibilité de biens, pour d’éventuelles nécessités futures : soins médicaux, entretiens de maisons… Cette prévision des nécessités futures variera, évidemment, en fonction de l’efficience des services sociaux assurés par la société.
Des événements prévisibles et imprévisibles peuvent toujours survenir. Cependant, on ne peut pas tout prévoir, ni accumuler des biens pour faire face à toutes les mésaventures possibles. Il faut laisser un peu d’espace à la Providence divine : il est juste d’épargner en vue d’évènements raisonnablement prévisibles, mais à l’intérieur des limites que les nécessités actuelles des pauvres doivent progressivement établir.
E/ L’extension du devoir de donner
Nous devons certainement donner ce dont nous disposons, dans les limites du nécessaire et du convenable. Mais il ne s’agit pas seulement de donner de l’argent ou des biens matériels. Le Seigneur nous a donné la vie, un temps pour vivre, que lui connaît. Ce temps qui nous est donné n’est pas nôtre : il est pour le Royaume, et donc pour les autres. Offrir notre temps aux autres est un devoir important ; et cela se traduit souvent en termes économiques.
Beaucoup chercheront à travailler durant les temps libres, parce que cela est nécessaire pour une subsistance convenable de la famille. Mais il y a d’autres qui font la même chose seulement pour avoir plus, gagner davantage. Et ainsi, dans le seul but de réaliser des profits économiques, on néglige la famille, on détruit des amitiés, on se refuse le temps pour toute forme de vie associée, on considère comme gaspillé le temps consacré à la réflexion sur soi et au dialogue avec les autres. D’autres ont toujours besoin de notre temps : ne serait-ce que pour être écoutés, pour se sentir aimés. Les enfants, les personnes faibles, les marginalisés, les malfamés, les handicapés, tous ceux là ont besoin de notre temps pour être soignés, servis… considérés. Notre temps est compté : nous ne pouvons donc pas le gaspiller, ni le disperser, ni surtout le dépenser uniquement pour avoir plus, quand nous en avons déjà assez.
Abbé Valentin DABIRE